Un entrepreneur, c'est un artiste

Publié le par Paul-Emile Taillandier

chef d'orchestre 

Le très atypique patron du groupe Swatch disparu récemment explique sa conception du management.

Nicolas Hayek, votre entreprise, Swatch Group, a vécu comme les autres la crise de 2008-2009. Vous l'avez gérée d'une façon plutôt inhabituelle.

Dès le début nous avons communiqué 2 deux messages :

le 1er,  même si la crise doit être dure et longue, nous ne renvoyons pas de personnel ; le 2ème, il n'est pas question de forcer nos partenaires à acheter nos produits coûte que coûte. Beaucoup de mes confrères horlogers suisses ont contraint leurs concessionnaires à acheter leurs collections sinon ils les menaçaient de leur retirer leur concession. Résultat, les produits ont été revendus à un prix très bas. Nous ne sommes pas entrés dans cette logique. Bien nous en a pris, en un an la valeur de nos actions a grimpé de 110 %. Fin 2009 notre CA brut, 5,42 milliards de FS a reculé de 8 % et notre bénéfice de 8,9 %,  beaucoup mieux que le reste de l'industrie (- 22.3 % en 2009) et mieux que ce que disaient les experts.

Pourquoi refuser l'idée de faire de l’emploi une variable d'ajustement ?

C'est la dernière des choses à faire, sauf si cela va très mal, si les ventes tombent de plus de 50 %. C'est une habitude facile des managers en difficulté d'y répondre par la réduction de la masse salariale. Dans une grande compagnie industrielle, les salaires  représentent 10 % au maximum 20 % des coûts. L’enjeu, c'est le matériel, la logistique et les rebuts, qui atteignent  entre 50 % et 60 %, voire 70 %, des coûts. Réduire les rebuts de 10 % à 6 % du prix de revient global, est une économie plus efficace que la réduction des postes de travail.

Etes-vous un patron paternaliste ?

On ne peut me qualifier par un adjectif. L'être humain est plus complexe que cela. Dans les 156 usines de Swatch Group en Suisse et en Europe, je suis accueilli  plutôt comme un héros national. Les gens m'y voient souvent, je ne suis pas un homme d'affaires, mais un entrepreneur, nous ne sommes pas Wall Street. L'atmosphère dans l'entreprise n'est pas gagner de l'argent à tout prix et avec n'importe quoi. Nous essayons de donner à notre personnel un sentiment de sécurité, d'intégration et d'appartenance au groupe. Nous défendons la place de travail en Europe, les salaires n'étant pas le seul ni le plus essentiel facteur d'importance de l'industrie.

Comment devient-on Nicolas Hayek ?

J'ai beaucoup de facettes - entrepreneur, penseur, orateur, réalisateur, « motivateur », innovateur…. J'étais entrepreneur consultant et dirigeais ma société Hayek Engineering. On m'a demandé de me pencher sur l'avenir de l'horlogerie suisse. Au début des années 1980, il se fabriquait chaque année 1 milliard de montres-bracelets dans le monde : 950 millions à moins de 100 FS prix public, 42 millions entre 100 et 700 et 8 millions sans aucune limite de prix au-dessus de 700 euros. Les Suisses avaient une part de marché nulle des 950 millions de montres, 2 % à 5 % dans le segment intermédiaire, et 98 % du marché des montres à plus de 700 euros. J'ai attaqué le gros du marché des montres à moins de 100 euros produites en Suisse, avec un raisonnement tout simple : une industrie pour exister s'appuie sur la production de grandes séries.

Pour vous, qu'est-ce qu'un entrepreneur ?

Un entrepreneur, c'est quelqu'un qui sait que vous et moi, nous sommes nés avec énormément de fantaisie, on a cru aux contes de fées. Puis c'est la famille, l'école, l'armée pour les hommes, l'université, l'administration ou l'entreprise, bref toute une série d'institutions nous  ont, petit à petit, tué cette fantaisie originelle qui était en nous. C'est cela qu'il faut retrouver. Pour moi, un entrepreneur, c'est un artiste. Il crée des choses, des produits, de nouvelles richesses et du travail, il surmonte les obstacles, c'est ce qui le motive, il admire la beauté et la culture, il motive, refuse la domination de la finance sur l'industrie, et passe très vite de la théorie à la réalisation.

PROPOS RECUEILLIS PAR DANIEL FORTIN, Les Echos REVUE DE PRESSE

Publié dans ENJEUX ET REPERES

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